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L’Aparté - Une histoire d'alignements

Une histoire d'alignements

L’alignement d’intérêts, du mariage arrangé à la martingale assurée

Dans l’Aparté n°1, Nicolas Komilikis rappelait comment les théories américaines dites « de l’agence » des années 1970 avaient “reconfiguré les modèles de gouvernance pour garantir l’alignement indéfectible des dirigeants aux seuls intérêts des actionnaires.” Citant Henry Ford et Antoine Riboud, il rappelait que l’entreprise, un collectif humain, ne pouvait se contenter de rechercher la maximisation des profits mais avait d’abord besoin d’une raison d’être, au service de la société au sens large, sans qui l’entreprise en retour ne pourrait pas non plus exister. Cela implique le respect de diverses parties prenantes, au-delà des seuls actionnaires, conformément à la notion d’”intérêt social”, traditionnelle dans la jurisprudence française mais inscrite dans la loi (Pacte) seulement en 2019.

Pour organiser ce fameux alignement d’intérêts entre dirigeants et actionnaires, un outil privilégié a été de favoriser la détention d’actions par les dirigeants. En pratique, ils ont souvent reçu des options d’achat leur permettant d’être exposés à la hausse des titres sans avoir à investir au départ, en plus de leur rémunération pré-existante. Cela s’est révélé extrêmement rémunérateur, creusant des écarts explosifs et rarement mérités entre les rémunérations des dirigeants et celles des salariés ordinaires, notamment aux Etats-Unis ; les écarts étant plus faibles en Europe Europe et encore plus faibles au Japon.

Cela engendre une dynamique autoentretenue : les dirigeants ainsi alignés avec les actionnaires via l’attribution d’options à risque nul prennent leurs décisions en faveur des seuls actionnaires, la valeur des actions augmente donc et la rémunération devient encore plus élevée que prévu.Il se peut que ce soit une des explications de la hausse structurelle et progressive des marges et des cours de bourse ces dernières décennies aux Etats-Unis : les dirigeants privilégient les actionnaires, y compris au détriment des salariés via la compression de leur rémunération. Cela nourrit une hausse des marges favorable au cours de bourse.

Ce n’est bien sûr pas la seule explication : ont eu probablement davantage d’importance la baisse des taux d’inflation, le développement rapide des pays émergents, la suppression politique des obstacles aux mouvements de personnes, de capitaux et de marchandises, les décisions fiscales de baisse des taux d’impôt sur les sociétés dans les pays développés depuis les années 70 ou la déréglementation du marché du travail dans certains pays.

Mais le problème demeure : comment éviter une opposition entre dirigeants et salariés et donc corriger ces écarts excessifs de rémunération et de considération respective de la part des dirigeants pour les actionnaires et les salariés ? Peut-être en réduisant les montants accordés aux dirigeants mais surtout en ouvrant aux collaborateurs des dispositifs larges de participation, d’intéressement ou d’actionnariat salarié avec décote et/ou abondement, leur permettant ainsi de profiter également d’une évolution salariale positive. Alors on pourra espérer que chacun joue son rôle avec des rémunérations proportionnées aux responsabilités et la conscience d’appartenir à un collectif. Ce point fondamental constitue l’un des objectifs prioritaires d’engagement de notre fonds Sextant France Engagement.

L’autre problème réside dans les moyens utilisés : quand il s’agit d’options ou d’actions gratuites, le dirigeant a bien un potentiel supplémentaire de rémunération lié au cours de bourse mais bien souvent il ne supporte pas de risque associé. Les actionnaires peuvent réellement perdre leur capital. Les employés peuvent perdre leur emploi. Sans avoir fait fortune au passage. Cette asymétrie peut pousser à des prises de risque irrationnelles et problématiques pour l’entreprise. On en a eu un exemple dans les compagnies aériennes américaines ces dernières années. Leurs dirigeants particulièrement bien dotés en options ont consacré l’essentiel de la trésorerie générée par leurs compagnies à des rachats d’actions qui ont fait augmenter la valeur de leurs options, bientôt transformées en actions rapidement revendues sur le marché. Ces compagnies sont arrivées sans marge de manœuvre dans la pandémie. Les actionnaires et les employés auraient alors pu tout perdre, à l’inverse des dirigeants, pourtant les plus responsables de la faiblesse de leurs bilans. Les politiques publiques ont choisi de sauver les entreprises et les emplois sans mettre à contribution financièrement les dirigeants, ce qui nous semble regrettable. De même, secourir actionnaires et obligataires comme s’ils n’avaient eux-mêmes aucune responsabilité ne les aidera pas à s’améliorer et à exiger plus de marge de sécurité dans la gestion financière des entreprises.

On peut noter la même asymétrie dans le noncoté où le contexte actuel de taux d’intérêt et de laxisme dans la structuration financière encourage les dirigeants à prendre tous le risques en maximisant l’ endettement de l’entreprise parfois au-delà du raisonnable, tout simplement parce qu’ils ne sont exposés qu’au potentiel de hausse par des mécanismes optionnels similaires sans encourir le risque de baisse qui sera supporté par les actionnaires, trop facilement consentants en l’occurrence, et surtout par les employés et autres parties prenantes qui seront victimes.

Le but est que chacun “joue son rôle avec des rémunérations proportionnées aux responsabilités et la conscience d’appartenir à un collectif.

Dans ce contexte, on ne peut plus parler d’alignement mais simplement de martingale : du gain dans des montants croissants, sans réel risque associé. Dans l’euphorie qui règne depuis 2 ans à la confluence de la technologie et de l’investissement, il n’y a aux Etats-Unis plus de limites, les fondateurs obtenant des rémunérations toujours plus prédatrices. Des dirigeants d’entreprises s’introduisant en bourse en 2020 ont ainsi obtenu les cinq plus grosses rémunérations des Etats-Unis cette année-là, représentant des pourcentages démesurés de la valeur de l’entreprise (jusqu’à 7,5% du capital pour le PDG du loueur de scooters Bird Global !). Plus largement la médiane des rémunérations de dirigeants s’introduisant en bourse cette année-là a été 11 fois supérieure (!) à celle des dix années précédentes. Bien sûr ces montants sont parfois liés à des objectifs de croissance ou de performance boursière mais il s’agit généralement de fondateurs qui détiennent déjà une participation importante dans l’entreprise et on peut donc douter que ces incitations soient indispensables à leur motivation. A l’inverse, Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg ont quant à eux refusé de bénéficier d’options depuis l’introduction en bourse d’Amazon et Facebook. On est typiquement dans un système d’incitations perverses : dans ce marché euphorique, les investisseurs se disputent des places au capital et ne s’opposent donc pas aux demandes toujours plus gourmandes de certains dirigeants : “Personne ne veut avoir une réputation conflictuelle avec les dirigeants donc, dès le début, vous avez des conseils d’administration laxistes”.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la transparence sur les rémunérations des dirigeants a contribué à cette situation délétère, comme le pensait Warren Buffett : “Les dirigeants d’entreprises dans leur ensemble gagneraient beaucoup moins d’argent si les rapports annuels ne mentionnaient pas les salaires des autres. La nature humaine fait qu’ils regardent d’autres rapports annuels et se disent “Je vaux mieux que ce gars-là”. Aucun ne se dit par contre “je devrais gagner moins”. Chez Salomon Brothers, presque tout le monde était mécontent de son salaire et ils gagnaient des fortunes. Ils n’étaient pas déçus à cause du montant absolu mais parce qu’ils se comparaient à quelqu’un d’autre et cela les rendait fous”. Il est évident que cette question de la rémunération des dirigeants et son corollaire, celle de l’actionnariat salarié et d’une participation effective des salariés à la réussite de l’entreprise est un des sujets les plus importants et les plus délicats de l’investissement responsable. Il reste pourtant insuffisamment évoqué, tant il est vrai que personne n’a intérêt à le soulever.

A ce titre, nous avons constaté qu’une configuration favorable correspondait à une société contrôlée par une famille ou unactionnaire de référence avec des dirigeants tiers, un cas plus courant dans les PME dans lesquelles nous investissons que dans les grands groupes. En effet, sous l’influence de l’actionnaire, la rémunération des dirigeants est alors souvent bien calibrée pour être à la fois attractive et raisonnable. C’est l’équilibre que nous favorisons dans toutes nos participations en tant qu’actionnaire de long-terme. Nous pouvons citer quelques bonnes pratiques : en Allemagne, on observe de façon croissante le versement d’une partie des rémunérations variables de dirigeants en actions de l’entreprise, invendables pendant un certain temps. Plus largement nous apprécions que les dirigeants achètent réellement leurs titres, potentiellement avec une décote et/ou un abondement, conditionné par un blocage pluri-annuel. Surtout si c’est structuré aux côtés d’une offre largement ouverte aux cadres de l’entreprise et idéalement à l’ensemble des salariés.

“IL N’Y A PAS D’ALIGNEMENT, IL N’Y A QUE DES PREUVES D’ALIGNEMENT”

En ce qui concerne Warren Buffett que nouscitions, tout va bien, son salaire annuel est de 100.000 dollars par an depuis 40 ans et les membres du conseil d’administration de Berkshire Hathaway ont dû acheter euxmêmes des titres sur le marché. Cet exemple éclaire deux conditions d’un véritable alignement d’intérêts :

  • tout d’abord il faut un horizon partagé : si un dirigeant a un programme importantd’options avec un horizon connu, celui-ci risque fort de déterminer toute son activité et de créer un décalage malsain avec l’horizon des actionnaires et entraîner des effets pervers liés à des dates-couperets ou à des seuils (prix d’exercice des options). On peut noter que c’est vrai par rapport aux actionnaires de long-terme présents au capital mais que ça l’est aussi pour toutes les parties prenantes, clients, salariés, fournisseurs etc. dont l’horizon de coopération avec la société est généralement plus long que ceux d’un programme d’options (en général de 3 à 5 ans).

  • ensuite si l’on se concentre sur le seul alignement d’intérêts avec les actionnaires, rien ne remplace la similitude des démarches : “j’achète une action sur le marché, tu achètes une action sur le marché, dans les mêmes conditions”. Le dirigeant risque alors réellement une partie significative de son patrimoine qui va dépendre de la pertinence de ses propres décisions, et il agit en cohérence avec son discours généralement optimiste sur les perspectives de sa société.

C’est pourquoi lorsqu’un dirigeant achète des titres de son entreprise sur le marché, c’est un indicateur clé pour nous, comme le disait Youssef Lboukili, gérant chez Amiral Gestion, dans un point de vue en début d’année. Il existe aussi d’autres raisons que le seul alignement. En effet, les dirigeants sont les mieux placés pour savoir si leur entreprise est correctement évaluée par la bourse en fonction des évolutions de leur industrie ou de changements internes qui ne se sont pas encore traduits dans les chiffres publiés. Ils saventégalement mieux que quiconque le niveau de valorisation auquel se discutent ou s’opèrent les transactions dans leurs secteurs. Enfin, cela permet aussi d’apprécier la cohérence entre les paroles et les actes : il est en effet très courant qu’un dirigeant vante les perspectives favorables de son entreprise et considère que le cours de bourse les sous-valorise massivement. C’est de bonne guerre tant un cours de bourse plus élevé est un atout stratégique qui permet par exemple de se positionner en chasseur plutôt qu’en proie dans un même secteur… Mais aussi, on l’a vu, d’augmenter sa propre rémunération. Il est plus rare qu’il achète des titres de son entreprise sur le marché pour mettre ses actes en harmonie avec son discours, ce qui montre qu’il y croit vraiment. Une fois qu’on a compris que l’achat de titres sur le marché par les dirigeants est un signal puissant, encore faut-il être capable de le détecter ! La bonne nouvelle c’est que ce type de transaction doit presque partout être déclaré aux autorités boursières et constitue donc un signal public.

Les dirigeants sont les mieux placés pour savoir si leur entreprise est correctement évaluée en fonction des évolutions ou de changements pas encore traduits dans les chiffres publiés.

Pour en venir à des exemples concrets, prenons Saf-Holland, un équipementier allemand de poids lourds dont l’équipe dirigeante a changé en 2019. Les nouveaux arrivants ont profité de la forte baisse du cours pendant la crise du Covid pour se renforcer significativement au capital. C’était un double signe de confiance, d’une part sur le programme de restructuration en cours améliorant structurellement la rentabilité de l’entreprise et d’autre part sur la liquidité de l’entreprise dans la crise.Autrement dit, il est bien sûr souhaitable d’organiser autant que possible un bon alignement d’intérêts entre dirigeants et actionnaires par une gouvernance appropriée. Mais quand en pratique cet alignement se constate via des achats significatifs des dirigeants sur le marché, c’est un paramètre qui prend une toute autre dimension. C’est parfois décisif : nous sommes ainsi actionnaires d’une société minière au Canada qui détient un seul actif qui va bientôt entrer en construction, phase la plus importante de l’histoire de l’entreprise. Un nouveau directeur des opérations a été recruté pour prendre la responsabilité de ce chantier avec un excellent pedigree, ce qui constitue bien sûr une très bonne chose. Le fait qu’il acquiert sur le marché pour plus de deux millions de dollars de titres a témoigné d’une confiance exceptionnelle dans les qualités intrinsèques de l’actif et dans les probabilités de succès du projet.

Une deuxième configuration similaire se présente lorsqu’une société principalement ou majoritairement détenue par la famille dirigeante ou par le dirigeant lui-même rachète ses propres actions sur le marché. De la même façon, le dirigeant se relue alors au capital dans les mêmes conditions que n’importe quel actionnaire peut le faire. La seule différence est qu’il en fait également profiter les actionnaires minoritaires et que cela constitue donc non seulement une décision patrimoniale personnelle et familiale mais aussi un choix d’allocation du capital assumé pour toute l’entreprise. C’est par exemple le cas de Berkshire Hathaway de façon régulière depuis 18 mois (1,5% du capital par trimestre en moyenne), une première. La raison en est double : d’abord il n’y a jamais eu un tel écart entre la valorisation du marché nord-américain, coté ou non-coté, et Berkshire Hathaway. Bien que la société ait d’après notre analyse surperformé le marché américain d’un point de vue opérationnel et économique, ses multiples de valorisation ont à peine progressé en 10 ans alors qu’ils ont à peu près doublé pour le marché dans son ensemble.

Ensuite, le groupe génère une trésorerie abondante de façon récurrente et aucune crise depuis 2008 n’a été suffisamment grave ou durable pour utiliser la trésorerie nette accumulée. Malgré sa taille (9ème capitalisation mondiale), la société est incroyablement peu suivie (4 analystes seulement) et ce changement d’allocation du capital commence tout juste à être pris en compte par le marché. Il est possible que cela augure d’une surperformance durable par rapport à l’indice des valeurs américaines. Un autre exemple en est Vivendi où les rachats d’actions réguliers par les dirigeants et actionnaires principaux ont longuement précédé des décisions favorables aux actionnaires minoritaires comme la distribution d’UMG annoncée en début d’année, sans pour autant que le marché en tienne vraiment compte avant que celle-ci ait effectivement lieu.Un autre exemple spectaculaire, Dillard’s, a été cité récemment par David Einhorn.

DE LA DIVERGENCE AU DIVORCE, LES CONFLITS D’INTÉRÊTS

L’alignement d’intérêts entre dirigeants et actionnaires est, on le sent bien, un équilibre souvent fragile. Il peut s’organiser tant bien que mal, il se constate parfois concrètement mais il peut aussi se rompre.

Bien sûr, dans les cas négatifs, on songe tout de suite aux ventes de dirigeants. Si les achats substantiels sont des signaux positifs d’alignement d’intérêts, quid des ventes ? C’est effectivement parfois tout aussi significatif. Nous avions rencontré ce cas il y a quelques années avec l’entreprise Safestyle, un fournisseur de fenêtres et de portes en Angleterre. Deux dirigeants avaient vendu une partie importante de leurs titres tout en assurant que l’activité se portait bien. Les résultats se sont rapidement effondrés à cause d’une forte aggravation de la concurrence.

Mais à la différence de l’achat d’actions sur le marché, qui ne peut avoir qu’une vraie raison, la vente peut obéir à d’autres motivations qui sont légitimes : par exemple, financer la fiscalité liée aux rémunérations en option lorsque celles-ci sont exercées. C’est le cas d’Elon Musk en ce moment. Mais surtout il est naturel de vouloir à un moment diversifier son patrimoine et plus encore d’avoir besoin de financer tel ou tel projet personnel. Nous avons connu quelques opérations de ce type dans nos portefeuilles. Lors de son départ à la retraite, un des dirigeants fondateurs de Lectra, avait par exemple cédé l’intégralité de sa participation en 2017. Son frère n’avait lui rien cédé et dirige toujours la société. Quant à la famille fondatrice de Derichebourg, elle avait placé 10% du capital début 2018. Pour autant ces deux sociétés ont eu depuis d’excellents parcours opérationnels et boursiers.

L’alignement d’intérêts entre dirigeants et actionnaires est un équilibre souvent fragile. Il se constate parfois concrètement mais il peut aussi se rompre.

Le signal est donc moins évident à décrypter. Encore faut-il qu’il soit lisible et donc que la transparence soit complète. Ce n’est pas partout le cas comme par exemple pour les sociétés étrangères cotées aux Etats-Unis. C’est ainsi que des dirigeants chinois ont pu vendre les titres de leurs sociétés en catimini en milieu d’année dernière. Quand le Président Xi Jinping a commencé à critiquer le secteur du soutien scolaire, des dirigeants qui se disaient optimistes et promettaient de racheter des titres étaient en fait en train d’en vendre. Heureusement la règle permettant de tenir ces ventes secrètes pourrait bientôt changer.

Mais il y a d’autres cas négatifs. Un cas plus subtil survient lorsque les rachats d’actions réguliers et significatifs s’accompagnent d’une réduction de la communication qui peut faire penser que les dirigeants cherchent précisément à décourager les actionnaires minoritaires de rester au capital pour leur racheter leurs titres à bon compte sans pour autant leur payer une prime. C’est ce qui s’est passé avec Rocket Internet en Allemagne à partir de 2018. C’est une attitude qui en soi nous paraît malhonnête, car venir en bourse pour lever de l’argent à une bonne valorisation (comme ce fut typiquement le cas de cette société en 2014 et 2015) s’accompagne d’un certain nombre d’engagements, certes moraux et non juridiques, et en particulier d’une communication à peu près stable dans le temps. En l’occurrence, il s’agissait ainsi de laisser le cours végéter pour in fine exploiter les failles de la législation allemande. En effet, en Allemagne, la loi autorise une société à transférer sa cotation d’un marché réglementé à un marché non réglementé à une simple majorité de 50% en offrant le prix moyen des six mois précédents. Or beaucoup de véhicules d’investissement ne peuvent détenir de titres sur des marchés non réglementés. Ce transfert de cotation devient donc largement assimilable à un retrait de cote. Or, dans toute l’Europe, il doit être agréé à 90% au moins par les actionnaires et avec une prime conséquente. Cet angle mort de la loi allemande a permis à Rocket Internet de racheter la plupart des minoritaires sans prime.

Nous espérons bien sûr que ce scandale qui s’est répété plusieurs fois en Allemagne ces dernières années ne sera bientôt plus possible. Il arrive également que les dirigeants tentent de sortir l’entreprise de la cote dans une procédure classique et fassent une offre en cesens aux minoritaires. Il est évident que dans ce cas les intérêts des uns et des autres sont diamétralement opposés. Il arrive bien sûr que cela se fasse à des prix raisonnables et en toute transparence. Ce fut récemment le cas d’Illiad. Xavier Niel qui est le fondateur, principal actionnaire et dirigeant de l’entreprise a retiré le titre de la cote à 182€ alors que le cours se situait avant l’annonce à 113€. Lui et d’autres dirigeants du groupeavaient déjà racheté des titres sur le marché entre 80€ et 105€ et lancé une offre partielle à 120€ fin 2019. Par ailleurs, le groupe avait maintenu une communication soutenue et optimiste et retrouvé une dynamique opérationnelle et stratégique de grande qualité. Malheureusement il faisait partie de ces nombreuses entreprises qui ne sont pas aujourd’hui à la mode et le marché s’obstinait à lui attribuer une valorisation dégradée. Onne peut donc que comprendre Xavier Niel,notre estimation interne de la juste valeur étant en effet supérieure à 250€.

Il arrive aussi que cela se fasse à des prix trop bas et de façon conflictuelle comme dans le cas d’Hunter Douglas, un fabricant de stores hollandais de plusieurs milliards d’euros de capitalisation boursière mais totalement ignoré par le marché (zéro suivi !). Le cours était à 50€ fin 2020, nous étions alors en moins-value par rapport à nos prix d’achat. La famille qui le dirige a fait une offre sur les titres des minoritaires à 64€ en 2020, un niveau qui paraissait déjà absurde d’autant qu’il était accompagné d’un geste d’une rare inélégance, l’annonce d’une suspension du dividende. L’offre a été heureusement rejetée par les minoritaires, si bien que la société a dû continuer à publier ses comptes. Le trimestre suivant, les profits étaient pratiquement multipliés par 4… Et en fin d’année dernière, un fonds a fait une offre sur l’ensemble de la société à 175€, offre raisonnable à laquelle nous allons effectivement apporter nos titres.

CONCLUSION :UNE CONFIGURATION EXCEPTIONNELLE

Dans notre analyse des sociétés, l’étude des incitations notamment financières a une place centrale pour comprendre dans quelle mesure les intérêts des dirigeants sont en principe et en pratique alignés avec ceux non seulement des actionnaires mais aussi des autres parties prenantes. Tout en nous engageant de façon constructive auprès d’eux pour améliorer la situation lorsque c’est nécessaire, nous portons une attention toute particulière à leurs actes concrets et spécialement à leurs transactions sur titres qui sont pour nous des indicateurs notables. C’est le cas pour notre appréciation individuelle des titres mais depuis 18 mois nous sommes également frappés par l’envergure du phénomène sur l’ensemble du marché.

D’un côté les ventes d’actions de leurs entreprises par les dirigeants ont battu des records en 2021 aux Etats-Unis. De l’autre, il en va tout autrement dans nos portefeuilles où se sont multipliées les opérations de renforcement des dirigeants au capital de leur entreprise. Nous en avons cité quelques-unes seulement et il serait fastidieux de toutes les énumérer mais ce contraste qui dure depuis 18 mois est tout à fait saisissant. Il peut s’expliquer par une polarisation extrême, et croissante depuis 4 ans, du marché boursier entre secteurs à la mode bénéficiant de valorisations élevées et d’autres durablement boudés. Nous nous demandions donc si ce serait un indicateur avancé d’un retournement général de tendance et d’une inversion des performances boursières respectives des secteurs à la mode et des secteurs délaissés, un peu comme les transactions des dirigeants sur leurs titres sont souvent un indicateur avancé de la performance économique et boursière de leur entreprise. Or nous constatons effectivement depuis fin novembre un tel retournement de tendance. L’avenir nous dira s’il est durable et donc à quel point ce signal était pertinent.