Paroles d’entrepreneurs – Compte rendu de l’entretien avec François Feuillet, Président du Directoire de TRIGANO
Introduction
Les informations que nous vous présentons dans ce document ne constituent en aucun cas un conseil en investissement ou une recommandation d’investissement.
Depuis début mars, nous partageons avec vous chaque semaine notre vision des marchés et faisons le point sur nos gestions et nos décisions d’investissement. Durant ces rendez-vous hebdomadaires, nous vous parlons des entreprises qui composent nos portefeuilles et de la manière dont nous échangeons quotidiennement avec leurs dirigeants.
Pour compléter ces analyses, nous avons souhaité vous proposer une série d’entretiens exclusifs avec des entrepreneurs français pour décomposer la crise et son impact sur l’économie réelle et leur secteur d’activité.
Pour ce premier rendez-vous, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec François Feuillet, Président du Directoire de Trigano, leader européen des constructeurs de camping-cars, caravanes et habitats de plein air. La société réalise 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans huit pays. Elle emploie plus de 8 500 personnes dans toute l’Europe. François Feuillet est à la tête de son entreprise depuis plus de 40 ans.
Cet entretien a été animé par Sébastien Ribeiro, gérant analyste chez Amiral Gestion.
François Feuillet
La période que nous venons de connaître a été difficile pour l’entreprise, surtout en raison d’un information peu fiable. Malgré la fermeture des frontières en Europe, nous avons tenté de maintenir la production. Cela n’a pas été possible en Espagne et en Italie, alors qu’en France nous avons surtout souffert de problèmes d’absentéisme. En Serbie et en Pologne la situation a été normale, ces deux pays étant peu impactés par l’épidémie du Coronavirus. En Allemagne, la distribution était réduite, mais il a quand même été possible de produire.
Nous avons également rencontré des difficultés d’approvisionnement en Chine, ainsi qu’au Maghreb.
En Tunisie, par exemple, la population devait rester chez elle où un couvre-feu était instauré.
Nous avons tout mis en œuvre pour redémarrer le plus vite possible, avec de nouvelles pratiques sécuritaires au niveau des chaînes de montage, en signant des accords avec les syndicats italiens, ou les différentes instances bureaucratiques françaises. La reprise a été rapide en Slovénie ; pas au Royaume-Uni où l’économie est toujours à l’arrêt. Certaines régions posent encore quelques problèmes de remise en route de la production comme le sud de l’Allemagne, très touchée par le virus.
Les usines sont donc toujours closes.
Globalement, nous avons quand même réglé pas mal de problèmes et nous avons identifié deux enjeux majeurs :
1/ préserver la santé de nos salariés, distributeurs et clients ;
2/ supporter notre réseau qui, après plusieurs mois de fermeture rencontre des difficultés
Grâce à une situation bilancielle favorable, nous leur avons accordé des reports de paiement, revu les commandes de manière à ne pas les pénaliser. Nous avons également reporté le lancement de nouveaux produits pour leur permettre d’écouler les stocks actuels.
Nous allons, subir une baisse du chiffre d’affaires, nous ne parviendrons pas à récupérer neuf semaines d’arrêt d’activité. Mais le réseau va résister.
Reste maintenant à savoir comment va s’organiser le déconfinement. Les ventes de camping-cars par voie digitale ne devraient pas trop se développer. L’achat d’un camping-car s’apparente à l’acquisition d’une maison. C’est un achat complexe où chaque m2 est important. Et vu le prix (compris entre 50.000 et 60.000 euros), les gens veulent voir, toucher comparer avant d’acheter. D’où l’importance des salons car c’est là que se déclenchent les décisions. Or, ceux-ci sont en train d’être annulés les uns après les autres. Nous espérons maintenant que les salons prévus cet automne pourront se tenir car nous réalisons à cette période près de 10% des immatriculations de l’année. A commencer sur le plus grand salon du camping-car de Düsseldorf. Pour l’heure, nous sommes encore dans l’attente des décisions des organisateurs. Les annonces officielles devraient être faites fin mai.
Notre clientèle type est composée majoritairement de personnes relativement âgées. Elle a plus de 55 ans en moyenne, n’a plus d’enfant à charge et dispose de temps qu’elle veut consacrer à ses loisirs. Ce mode de vie en camping-car convient parfaitement à ses envies de liberté à prix modéré tout en étant proche de la nature. Il satisfait aussi un besoin aujourd’hui particulièrement recherché : la sécurité. On est là comme chez soi, sans contacts incertains. On dort dans son matelas et on mange avec ses
couverts. Cette clientèle historique est complétée de plus en plus par une clientèle plus jeune et essentiellement européenne, post étudiants, sans enfants, qui sont séduits par l’offre de Vans, qui connait un succès grandissant.
Liberté, économie, écologie et sécurité sont les quatre atouts de ce mode de vie. Un carré d’as qui a toutes les chances de sortir gagnant. Ce qui nous permet de garder un regard optimiste à moyen terme.
« On est chez soi partout », est d’ailleurs le thème de notre nouvelle campagne de publicité européenne qui devrait s’avérer très efficace dans le contexte actuel.
Plus globalement, les prochains mois risquent d’être difficiles pour la consommation discrétionnaire.
Nous allons connaître une période de chômage et de perte de pouvoir d’achat car les gouvernements ne pourront pas indéfiniment être en back-up.
On va passer par des moments difficiles, mais on devrait s’en relever. C’est comme le Tour de France.
Il y a les étapes faciles et les étapes difficiles. C’est dans les étapes difficiles que les coureurs font la différence. C’est pareil pour nous. Nous sortirons plus forts de cette crise. Trigano a gagné 10 points de parts de marché après la crise de 2008. Nous devrions en faire autant à l’avenir. S’il n’est plus possible de racheter nos concurrents en raison de problèmes de position dominante, nous pourrions éventuellement intégrer des fournisseurs ou des distributeurs. Il y a toujours des opportunités à saisir en période troublée.
Sébastien Ribeiro
Si l’on regarde d’autres cas de petites valeurs, force est de constater qu’elles se sont très vite adaptées à cette situation exceptionnelle. Il faut voir maintenant si elles ne risquent pas de subir des effets collatéraux que l’on n’aurait pas identifié de prime abord. L’exemple d’Ubisoft, producteur de jeux-vidéos, est assez révélateur. Voilà une société qui a tout pour profiter de la crise actuelle compte tenu du temps passé chez soi depuis plusieurs semaines. Or, il faut savoir que le groupe ne peut plus
produire actuellement de nouveaux jeux normalement mis sur le marché dans deux ou trois ans. De même, une montée possible du chômage devrait réduire les dépenses pour des produits non essentiels.
C’est la raison pour laquelle il faut se montrer très prudents et sélectifs. Il est encore trop tôt pour connaître précisément toutes les répercussions de la crise sanitaire.
Le marché des petites valeurs est toutefois très intéressant en terme de valorisation. Et ce, d’autant plus qu’avant même le déclenchement du confinement elles étaient sous valorisées par rapport à l’ensemble des valeurs, avec des niveaux de prix de 2011 voire de 2008/2009. Nous sommes actionnaires de Trigano et la valorisation de cette société tient déjà compte des difficultés à venir. Elle fait clairement partie de ces entreprises qui pourraient sortir renforcées de la crise. Elle dispose d’un
bilan sain qui devrait lui permettre de maintenir la qualité de ses actifs mais aussi de faire face à de multiples inconnues et saisir, le cas échéant, des opportunités.
La visibilité à court terme est faible et le stock picking sera la clé. Notre équipe de gestion se consacre chaque jour à la construction de nos performances futures.
Conclusion
Ce premier rendez-vous « Paroles d’entrepreneurs » sera complété de 3 autres rendez-vous les 5 juin, 19 juin et 3 juillet 2020 où nous donnerons la parole à des dirigeants de secteurs différents pour analyser la situation, les enjeux et l’évolution de l’économie réelle.