Hellofresh, point valeur du mois d’avril 2020
Nous sommes actionnaires d’Hellofresh, société allemande, leader mondial spécialisé dans la livraison de kits repas à domicile, depuis son introduction en bourse fin 2017. Bien que cela puisse paraître intrigant de prime abord de voir des investisseurs avec un fort biais « value » s’intéresser à une société en hyper croissance disposant d’un modèle économique assez récent, nous avons été séduits par plusieurs éléments dans ce cas d’investissement.
Le concept est assez simple. Hellofresh propose des kits livrés à domicile qui comprennent tous les ingrédients (viandes, féculents, légumes, condiments) ainsi que des fiches-recettes pour préparer un repas en 20-30 minutes. En début de semaine, les abonnés reçoivent un colis avec tous les ingrédients nécessaires dans les bonnes portions pour les recettes de la semaine en fonction du nombre de repas choisis. C’est un modèle de semi-abonnement non contraignant ; les utilisateurs pouvant se mettre « en pause » à n’importe quel moment où arrêter totalement pendant des périodes plus longues. La société livre aujourd’hui près de 300 millions de repas par an dont plus de la moitié aux Etats-Unis.
Même si nous regardons de près la plupart des dossiers d’introduction en bourse, nous restons prudents et assez sélectifs pour deux raisons : (1) le timing nous est souvent imposé, car les émetteurs choisissent souvent la meilleure fenêtre d’opportunité pour maximiser leur valeur de cotation, (2) et nous disposons souvent de peu d’historique permettant d’avoir assez de recul pour affiner l’analyse.
Dans le cas d’Hellofresh, ces deux points de vigilance étaient bien encadrés.
En ce qui concerne la connaissance de la société, nous étions loin d’être en phase de découverte du dossier car nous suivions les développements d’Hellofresh depuis près de deux ans. En effet, Hellofresh a toujours constitué une position significative de l’incubateur Rocket Internet dont nous étions actionnaires à l’époque. La société avait même tenté une introduction en bourse avortée en 2015.
Par ailleurs, l’élément du timing rendait cette IPO particulièrement intéressante à nos yeux. Le principal concurrent américain d’Hellofresh, Blue Apron, leader en 2017 avec plus de 50% de part de marché aux Etats-Unis connaissait de sérieuses difficultés logistiques lors de sa phase d’automatisation d’entrepôt qui a viré au cauchemar. Les perturbations de son outil industriel ont engendré des surcoûts importants, réduisant considérablement ses réserves de trésorerie et diminuant ainsi sa force de frappe en budget marketing. En effet, l’industrie des kits repas étant naissante, il fallait motiver les premiers clients via des incitations marketing importantes (budget publicitaire, réductions…). Blue Apron se retrouvait les mains liées. D’une part, les contraintes de trésorerie ont obligé la société à restreindre ses dépenses marketing, et d’autre part l’incapacité de son centre de distribution à traiter des commandes empêchait la société de livrer sa base de clientèle existante. Cette situation représentait une fenêtre d’opportunité inédite pour Hellofresh. Au moment où son activité hors Etats-Unis ne consommait plus de trésorerie, la société a pu lever près de €300m d’argent frais afin d’accélérer ses acquisitions de nouveau clients outre-Atlantique.
Nous étions donc très enthousiastes à l’idée de voir Hellofresh affirmer son leadership sur le marché américain. Cependant, nous constations que notre enthousiasme était loin d’être partagé par le reste des investisseurs. Il était en effet surprenant de voir le manque d’intérêt de la plupart de nos confrères lors du roadshow du management à Paris. L’explication la plus plausible étant que le marché semblait transposer les difficultés de Blue Apron à l’ensemble de la catégorie des kits repas livrés à domicile, percevant l’intégralité du secteur comme structurellement non rentable.
Pourtant, une comparaison des chiffres des deux sociétés laissait apparaître une réalité toute autre. Les coûts d’acquisitions clients étaient presque deux fois plus faibles chez Hellofresh que chez Blue Apron. D’autre part, une analyse de la typologie de clientèle permettait de voir que le taux de rétention de la clientèle d’Hellofresh était bien plus élevé que celui de son concurrent. Notamment car la stratégie d’Hellofresh consistait à cibler les familles des banlieues résidentielles plus susceptibles d’avoir des habitudes régulières de préparation de repas. A l’inverse, Blue Apron concentrait son ciblage sur des jeunes urbains habitant des grandes villes, en général friands de nouvelles expériences et de réductions, mais moins enclin à utiliser le service de manière régulière. Or, le facteur clé de réussite dans cette industrie à long terme, comme la plupart des modèles internet, réside dans la capacité du modèle à acquérir des utilisateurs à un coût modeste, puis à réussir à leur vendre un service sur une longue durée permettant ainsi d’amortir le coût d’acquisition initial et de dégager une marge bénéficiaire.
Habituellement, les introductions en bourse représentent un moment d’euphorie, caractérisées par des valorisations souvent très optimistes. Une société comme Hellofresh, aurait pu viser une valorisation autour de 2x les ventes compte-tenu des anticipations de croissance ainsi que de la marge terminale visée. Le prix d’introduction à 1.3x les ventes (10.25€/titre) paraissait dès lors particulièrement attractif.
Tout se passe comme prévu d’un point de vue opérationnel. La société prend l’habitude de faire un peu mieux que ses objectifs de croissance à chaque publication trimestrielle. Elle consolide sa rentabilité sur ses principaux marché (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Australie, Allemagne, Suisse, Autriche), tout en multipliant les lancements réussis sur de nouvelles géographies (Nouvelle-Zélande, Suisse, et plus récemment en France et en Suède). Cependant, le parcours boursier du titre ne suit pas encore véritablement le parcours de croissance de l’activité sous-jacente. Le marché conserve son scepticisme sur le modèle économique d’Hellofresh pour deux raisons principales. (1) Malgré une bonne croissance aux Etats-Unis, la société n’y est toujours pas rentable. (2) Les taux de rétention de l’industrie restent globalement plutôt faibles, remettant en cause la pérennité de l’activité à long-terme.
Le cours de bourse reste donc sous pression. Mais, un autre facteur, cette fois-ci technique, pèse sur le titre. Rocket Internet, l’actionnaire de référence est en phase de cession de la plupart de ses positions dans ses entreprises cotées. L’incubateur allemand n’hésite pas à vendre une partie de ses titres Hellofresh en pleine baisse du marché fin 2018. Cette pression vendeuse emporte le titre vers des niveaux de 6€ malgré les bonnes nouvelles opérationnelles. Rocket Internet détenant plus d’un quart du capital d’Hellofresh, l’anticipation de ventes futures mettait un cap à la progression du titre.
Début 2019, alors que la croissance se poursuit et que la société est en phase de réduction de pertes, nous sommes sondés sur notre intérêt afin de participer à un placement de titres qui permettrait à une poignée d’investisseurs (dont nous faisons partie) de récupérer l’intégralité de la position de Rocket Internet.
Nous nous retrouvions dans une situation assez atypique car d’un côté nous trouvons les choix de Rocket Internet (dont nous étions actionnaire) en matière d’allocation du capital plutôt rationnels historiquement. Mais d’un autre côté, nous n’arrivions pas à comprendre pourquoi l’incubateur, qui avait pourtant une position de trésorerie très confortable, était prêt à se séparer de cette participation un prix que nous estimons très inférieur à sa valeur intrinsèque. En parallèle, le lancement en France permet à quelques membres de l’équipe de gestion de tester le produit et de renforcer notre conviction sur le dossier (capacité d’innovation, variété des recettes, expérience client fluide…). Nous décidons de prendre part à ce « clean-up trade » (8€/titre).
Quelques mois plus tard, la société publie pour la première fois un résultat opérationnel positif sur ses deux géographies avec en prime une accélération de la croissance. Le levier opérationnel à l’échelle du groupe se matérialise enfin. Nous assistions à une période de changement de statut boursier avec une très forte appréciation du cours de bourse.
Le marché réalise enfin que l’objectif de rentabilité à deux chiffres annoncés lors de l’introduction en bourse était réaliste. La société l’a d’ailleurs confirmé en publiant au dernier trimestre une marge opérationnelle régionale de près de 15% sur la zone hors Etats-Unis.
Avec la disparition du scepticisme, l’écart de valorisation finit par se réduire
L’histoire de croissance est loin d’être finie. Bien que la part de marché d’Hellofresh soit passée de 25% à plus de 50% aux Etats-Unis en moins de deux ans. La quasi faillite de Blue Apron devrait permettre aux autres acteurs – et en premier lieu Hellofresh – d’adresser un vivier de €400m de revenus annuels potentiels. Sur l’ensemble des marchés où la société est actuellement présente le taux de pénétration du concept chez les 40% des foyers les plus aisées avoisine à peine les 2%. La société travaille par ailleurs à élargir son marché adressable à travers plusieurs initiatives (kit d’entrée de gamme, extra portions, petits-déjeuners, apéros…).
Après une très bonne fin d’année 2019, Hellofresh a confirmé sa bonne dynamique sur les mois de janvier et février. Mais depuis l’instauration des mesures de distanciation sociale, le recours au service a été extrêmement élevé sur le mois de mars, dépassant les attentes les plus optimistes. Les kits repas à domicile d’Hellofresh se sont avérés être une alternative pratique aux courses alimentaires en cette période de confinement. La disponibilité du temps de cuisine, la diversité des recettes, ainsi que le côté pratique consistant à recevoir tous les ingrédients nécessaires livrés à domicile ont permis à Hellofresh d’afficher une croissance du chiffre d’affaires de près de 70% sur le premier trimestre. Cette période particulière a aussi permis à Hellofresh de capturer un niveau de demande entrante important sans avoir à investir autant que d’habitude en dépenses d’acquisitions clients (mots clés, publicité, rabais…). Malgré le caractère quelque peu exceptionnel de cette période, nous pensons qu’elle permet à plus de personnes d’essayer le modèle, favorisant ainsi la pénétration du concept à long terme.
Hellofresh fait donc partie des rares dossiers dont la valorisation s’est appréciée dans la crise sanitaire actuelle. Le titre s’échange désormais sur un ratio de valeur d’entreprise sur chiffre d’affaires de 2x au cours actuel. Bien supérieur au niveau d’introduction en bourse à 1,3x sur lesquels nous étions rentrés. Entre-temps, la société a plus que doublé de taille en deux ans. Nous profitons de cette normalisation de valorisation qui ne laisse plus beaucoup de marge d’erreur pour alléger cette ligne afin de redéployer nos liquidités sur des dossiers ayant été plus impactés par la conjoncture actuelle.
Les informations contenues dans ce document ne constituent pas un conseil en placement, une recommandation d’investissement ou un conseil fiscal.
En savoir plus sur Hellofresh : https://www.hellofresh.ca/